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Lucie Merguin-Dauvergne (1931-2023)

Lucie Dauvergne, donatrice et amie de la Fondation et du Foyer Michaël, nous a quittés dans la nuit du 7 au 8 avril 2023, dans la nuit du Vendredi au Samedi saints, elle avait 92 ans. Elle a, il y a quelques années, rédigé les grandes lignes de sa biographie dans un texte intitulé « Mon parcours terrestre ».

Lucie Merguin est née à New-York le 29 août 1931, sa mère était originaire de Fribourg, en Suisse, son père était alsacien ; tous deux avaient émigré aux États- Unis dans les années 20, ils revinrent en Europe en 1933, mais se séparèrent alors que Lucie n’avait que 4 ans. Elle ne revit jamais plus son père sauf une fois, la veille de sa mort. Et bientôt, sa mère, souffrant de graves grises d’épilepsie, dut la placer, telle une petite Cosette, déjà en piteux état de santé, en pension dans un petit village, en Suisse, chez des petits- cousins aux revenus modestes. Elle restera chez eux dix ans.

En 1939, la famille emménagea à Vevey. La maison avait le chauffage central, mais, du fait de la guerre, le bois manquait… Lucie avait le sentiment d’être une charge pour cette famille, et nervosité, angoisses et cauchemars l’assaillaient.

Une vieille dame chez qui elle va chercher des œufs la prend en amitié, et ses institutrices l’encouragent. Les belles fêtes religieuses de Noël, Pâques, l’Assomption la réconfortent. Les randonnées et quelques jours de vacances dans les montagnes la régénèrent. Bien que

cultivant une religiosité étriquée, et malgré les rationnements, sa cousine s’occupe bien d’elle.

À la fin de la guerre, on se préoccupa de retrouver ses origines. Elle reçut la nationalité américaine par sa naissance, suisse par ses origines maternelles, et plus tard française par sa naturalisation et son mariage. Cette triple appartenance lui donna un esprit de liberté et d’indépendance qu’elle garda toute sa vie.

À 15 ans, elle quitte la maison de ses cousins pour entrer dans une école ménagère, avant de travailler pendant quelques mois comme jeune fille au pair.

Peinture de Lucie Merguin-Dauvergne, Printemps

En décembre 1949, elle part pour New-York, elle a 18 ans. Elle est généreusement accueillie par des membres de la famille de son père, immigrés eux aussi. Elle travaille dans une riche famille, s’occupe des enfants, car elle doit rembourser son voyage ! Puis elle entre dans une institution pour jeunes filles, où elle découvre une biographie de Goethe qui l’impressionne beaucoup. Elle se procure le livre et le conservera toute sa vie.

Elle se cultive, fréquente les bibliothèques, suit des cours de musique, de littérature, de philosophie. Le jour de ses 20 ans, elle se fait faire son portrait chez un grand photographe !

Une profonde intuition lui permet de ressentir ce qui est juste pour elle, lui évitant des faux pas.

Par l’une de ses relations, elle rencontre la pensée de Rudolf Steiner. Elle s’intéresse aussi pour un temps rosicrucisme, mais des exercises  de mènent à certaines perceptions spirituelles qui la mettent mal à l’aise, aussi mit-elle un terme à ses pratiques.

Lucie Dauvergne à 30 ans

Ayant répondu à une petite annonce, et grâce à ses mensurations idéales, elle fut engagée comme mannequin dans la grande maison de couture Lord & Taylor. Lucie était en effet devenue « un beau brin de fille », elle fit ainsi son entrée dans le monde de la mode et du luxe et garda toute sa vie le goût et l’exigence d’une apparence agréable, d’une élégance sans excès, d’une tenue morale harmonieuse et maîtrisée.

En 1956, à 25 ans, elle rentre en Europe, retourne voir sa famille d’accueil et s’engage dans la société Nestlé, où elle travaillera 10 ans. Elle réfléchit beaucoup, cultive le pardon, réussit à créer une relation d’affection avec sa mère de substitution ; elle s’aperçut alors que cette femme avait elle aussi beaucoup souffert dans son enfance et sa jeunesse.

Plus tard, elle trouva un travail comme secrétaire bilingue dans une société américaine basée à Genève, Sylvania Lightnings, qui s’occupait des installations d’éclairage dans les entreprises. Elle travailla « dans la lumière », en quelque sorte, ce qui correspondait bien à son caractère et à son tempérament. Elle fut bientôt mutée à Paris, où elle fut généreusement accueillie par la famille d’une de ses amies.

À Paris, elle se lia à nouveau à la démarche anthroposophique. Elle fréquenta groupes d’études et conférences et devint membre de la branche Michaël à Paris. Elle se sentait, dans ce courant, parfaitement libre, notion si précieuse pour elle.

Au bout de quelques années, sa société déménagea dans le Val d’Oise, où elle l’a suivie, car elle souhaitait déjà vivre plus près de la nature.

Durant ces années, grâce à plusieurs amis et amies, elle put voyager en France et en Europe, s’intéresser à l’art, suivre des cours de peinture.

Bien que souffrant de nombreux problèmes de santé, elle réussit à se maintenir en assez bonne forme grâce à une saine hygiène de vie.

Après dix années à la société Sylvania Lightnings, elle travailla encore sept ans chez Polaroïd.

En passant en train près de Villers-sous-Saint-Leu, elle vit un panneau sur le toit d’un bungalow niché sous les arbres entouré d’un petit terrain qui était à vendre, elle se hâta de l’acquérir, le prix de l’immobilier était, à ce moment-là, modique ; son rêve se réalisait.

Mais les années qui suivirent furent difficiles, elle dut affronter une grande déception sentimentale et rechercher de nouveaux emplois, ce qui, du fait de son âgé, devenait de plus en plus difficile.

Enfin, par l’intermédiaire d’une amie, elle rencontra celui qui allait devenir son mari, Gilbert Dauvergne, qui était veuf depuis deux ans et s’occupait avec compassion de plusieurs animaux abandonnés. Lucie et Gilbert se marièrent six mois après leur première rencontre, ils vécurent seize ans de bonheur.

Tout en vivant dans la maison de Gilbert, on allait le week-end pique-niquer au bungalow, puis on entreprit de le transformer : le bungalow devint une petite « datcha », on ajouta une niche pour les chiens, un garage pour la voiture. Et puis, et puis…, on eut envie de vivre au plus près de la nature, et on se transporta tous, Gilbert, Lucie, les chiens, les chats, l’oiseau, à la campagne ; on s’installa définitivement dans la « datcha», pour vivre au grand air, entendre le chant des oiseaux, écouter le vent dans les branches des arbres, le jour cultiver son jardin, le potager, les fleurs et la nuit contempler les étoiles. On vit même une aurore boréale.

Ils firent aussi ensemble l’étude et la visite de la région : l’abbaye de Royaumont fondée par Saint Louis, le château de la reine Blanche de Castille, la cathédrale d’Amiens.

Gilbert mourut en 2001, mais Lucie avait la certitude de retrouver dans l’autre monde les êtres qui lui sont chers.

Lucie se retira alors dans une maison de retraite à Soisy-sous-Montmorency, où elle trouva à la fois la tranquillité dont elle avait besoin et la compagnie de plusieurs nouveaux amis. Se préparant au grand départ, elle sut mettre ses affaires parfaitement en ordre.

Sa personnalité si indépendante, sa liberté chèrement conquise n’étaient pas synonymes d’égoïsme : dans sa résidence elle était engagée dans la commission de vie et animait des groupes d’étude sur l’histoire de l’art, l’histoire, dont un sur l’impulsion des Templiers. Elle était aussi membre de plusieurs associations.

Elle fit don à la résidence d’un grand nombre des tableaux qu’elle avait peints au fil des années. Ils ornent les couloirs de tout un étage.

En soutenant la Fondation Paul Coroze ainsi que le Foyer Michaël par des dons réguliers, puis en instituant la Fondation légataire universelle, elle accomplit son idéal : être libre et apporter au mieux son aide afin que d’autres puissent être libres aussi.

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L’image en-tête : Lucie Merguin-Dauvergne en 2021